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20 Août 2013

Recrutement : les 3 compétences de base du manager

Le sens de l’efficacité, de la durée et du collectif… Ces compétences devraient déterminer le recrutement de tout manager. Pourtant, sur le terrain, ces trois dimensions sont trop souvent reléguées au second plan par les recruteurs.

Extraits du livre "Managers en quête d'auteur" de Maurice Thévenet (Manitoba / Les Belles Lettres)

Le management suppose quelques compétences implicites, en dehors des savoir-faire traditionnels. Ces compétences sont au nombre de trois : le sens de l'efficacité, celui de la durée et celui du collectif.

1 / Le sens de l'efficacité

(...) L’efficacité ne va pas de soi, elle n’est pas innée. Et comment être manager si on ne dispose pas d’un minimum de ce sens-là ? Le débat sur l’efficacité a souvent été escamoté quand on oublie sa nécessité impérative pour ne voir que ceux à qui elle est censée profiter. On jette alors le bébé avec l’eau du bain en se laissant aller à des discours vengeurs contre la notion de performance qui séduisent les spécialistes des sciences humaines, toujours en attente d’un sujet de plainte. On confond alors la performance avec les conséquences de ses excès : quand va-t-on enfin se mettre à stigmatiser les conséquences dramatiques des manques de performance, quand la perte du sens de l’efficacité empêche la guérison des malades, réduit les performances des éducateurs, plombe la qualité des services publics ou des produits achetés?

 Est-ce que les managers ont le sens de l’efficacité ? La réponse par l’absurde est évidemment positive. Comment pourrait-il en aller autrement, comment les organisations s’accommoderaient-elles de managers dénués de cette compétence indispensable ? Cela ne va pourtant pas de soi.

Est-ce l’efficacité et la performance qui comptent pour nommer un manager ou d’autres compétences ou caractéristiques non avouées ni avouables ? On peut choisir des managers pour peaufiner leur plan de carrière, leur procurer une expérience qui ne sert qu’à eux-mêmes. On peut aussi choisir des managers pour leur obéissance, leur soumission et leur capacité à appliquer les ordres tout en assurant le bon fonctionnement sans accroc de la machine bureaucratique. Certains peuvent encore atteindre cette fonction, selon le principe de Peter, parce qu’ils ont enfin atteint leur niveau d’incompétence, ou parce qu’ils étaient gentils, attentifs aux autres, de bons animateurs socioculturels, surtout dans des contextes où les rapports de force sont tels que la paix sociale est plus importante que l’efficacité des équipes.

L’efficacité ne va pas de soi, surtout dans nos systèmes bureaucratiques où elle se confond parfois avec la bonne application des règles plutôt que par le produit réel et concret du travail. Ainsi, l’efficacité serait le désir profond du consommateur et l’objet de répulsion du producteur, un droit pour le premier et une contrainte pour le second.

2 / Le sens de la durée

Le manager devrait aussi avoir le sens de la durée. Son action se situe obligatoirement dans le temps même si son quotidien semble être absorbé par l’instantanéité de la réponse aux sollicitations multiples de ses prothèses technologiques. Indissociablement liée à l’idée même de travail, la durée est encore plus impérative pour le manager, car travailler, c’est agir pour un futur, un avenir, un produit qui sera utilisé, une satisfaction associée à un service. On ne peut travailler qu’avec le sens du temps, voire même une certaine espérance. Les théories du management ne s’y sont pas trompées en faisant de la planification, de la prospective ou de la stratégie les disciplines nobles de la gestion, car chacune véhicule une vision du futur et même une intention de le domestiquer, de l’anticiper et de le maîtriser.

Prendre de la distance par rapport aux événements

Les managers doivent aussi avoir ce sens de la durée, car le groupe, l’équipe ou la personne ne peuvent être abordés en dehors d’une perspective temporelle. C’est bien la différence entre le manager ou l’animateur de radio qui recueille vos plaintes au téléphone. Le second écoute et met en valeur la personne alors que le premier garde toujours en mémoire qu’il continuera de travailler avec la personne le lendemain. Les spécialistes des relations sociales le savent bien quand ils prennent de la distance par rapport à l’urgence ou aux circonstances d’un conflit. Les partenaires sociaux, comme ils sont pudiquement appelés, savent qu’il leur faudra continuer de travailler ensemble après la grève, et cela invite à des retenues, des compromis et une prudence pas toujours compris par les aveugles de l’instant. Quand un manager traite un problème personnel, il doit veiller à ne pas se laisser accaparer par l’urgence et l’immédiateté de la situation : le développement des personnes ne passe pas par leur satisfaction immédiate et la justice d’une décision de l’instant peut s’avérer dommageable pour le futur de l’équipe. Les managers ressemblent une fois de plus aux parents qui doivent en permanence gérer les tensions entre ce dont a besoin l’enfant sur le moment et ce qui est bon pour lui à long terme, et ils savent que cette tension est souvent difficile à tenir. (...)

3 / Le sens du collectif

Enfin le management requiert un sens du collectif. C’est une évidence puisque manager, c’est faire en sorte que l’activité d’un groupe de personnes soit performante. Le collectif, le sens de la cohésion ou de la collaboration apparaît comme intrinsèquement attaché au travail même du manager. Capitaine, commandant, coach, animateur ou chef de bande, le management se définirait même à l’aide de cette dimension collective, même si ce n’est malheureusement souvent qu’une apparence. Là encore deux raisons principales peuvent être évoquées. La première renvoie à une analyse un peu rapide d’une société où l’individualisme est fort même s’il est mal compris. (...) C’est l’ensemble des pratiques de notre société qui conduit à la consommation « marchandisée » du collectif – depuis le centre aéré jusqu’aux clubs de vacances – plutôt qu’à l’engagement dans des « microsociétés » où il s’agit de s’intégrer, de jouer son rôle en intégrant la présence des autres et d’honorer ainsi sa promesse et sa responsabilité vis-à-vis d’eux. Les managers exercent dans un monde où le jeune de 25 ans a autant d’années que de lignes sur son CV, après avoir accumulé une multitude d’expériences collectives sans jamais n’en approfondir aucune. Et si un manager peut légitimement aimer le statut et la rémunération associés à sa fonction, il n’apprécie pas forcément les relations avec les autres qu’il n’a pas nécessairement appris à côtoyer.

La seconde raison concerne les organisations elles-mêmes. Évidemment elles ne cessent de valoriser l’équipe, le groupe, la coopération, le sens du contact et de la relation dans toutes les valeurs ou les formations infatigablement répétées. Aucun imprudent ne se risquerait à affirmer qu’il n’apprécie pas le travail en équipe, tout comme il n’existe plus d’adulte qui n’ait été socialisé dès le plus jeune âge pour acquérir cette compétence sociale, véritable sésame vers une vie professionnelle réussie. Mais à vouloir faire de ce sens du collectif une compétence à acquérir, on a pu aussi la désenchanter et lui enlever ce qu’il a de plus profondément humain. Un manager me disait un jour qu’il avait terminé son management pour l’année puisqu’il venait d’achever le pensum des entretiens annuels. Il allait pouvoir se remettre au travail, c’est-à-dire nourrir depuis son ordinateur la machine bureaucratique avec le sens du devoir de relation accompli. En un mot, ce n’est pas le sens du collectif qui prédispose forcément à devenir un haut potentiel. En réalité, on intègre une équipe dirigeante grâce à sa capacité à bien s’entendre avec ses futurs collègues du comité de direction plutôt qu’à une compétence à entraîner des équipes.

Le mode de recrutement des managers en question

Ainsi, le sens de l’efficacité, de la durée et du collectif devraient normalement être des compétences de base pour les managers, mais ces critères n’interviennent pas toujours dans les décisions de nomination ou de promotion. C’est comme si cette fonction s’était professionnalisée et transformée en une capacité à jouer le rôle organisationnel attendu par une direction générale plutôt qu’à mener sa mission de terrain vis-à-vis des équipes.

Par Maurice Thévenet, enseignant (19/082013)

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